Theory and History of Ontology (ontology.co)by Raul Corazzon | e-mail: rc@
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For Aristotle's Categories see: Index of the section "History of the Doctrine of Categories"
This part of the section History of Ontology includes the following pages:
Aristotle on the Subject Matter of Metaphysics
The subject matter of Aristotle's Metaphysics. An overview
Selected bibliography on Aristotle's Concept of Metaphysics
The Origins of Aristotelianism
Aristotle: Bibliographical Resources on His Logical and Metaphysical Works
The Rediscovery of the Corpus Aristotelicum
Ancient Catalogues of Aristotle's Works:
Diogenes Laertius, Lives, V 22-27
Hesychius and Ptolemy al-Garib
Listes Anciennes des Ouvrages d'Aristote :
Diogène Laërce, Vies V, 22-27 (Current page)
Hésychius de Milet et Ptolémée el-Garib
Bibliography on the Ancient Catalogue of Aristotle's Works
Bibliography on the Recovery of Aristotle's Works
Studies in German, French, Italian and Latin
On the website "History of Logic"
Aristotle's Logic: General Survey and Introductory Readings
Aristotle's De Interpretatione: Semantics and Philosophy of Language
Aristotle's Prior Analytics: the Theory of Categorical Syllogism
History of Ancient Philosophy from the Presocratics to the Hellenistic Period
Aristotle's Doctrine of Categories: annotated bibliography of the studies in English: Complete PDF Version on the website Academia.edu
L'Antiquité nous a laissé trois catalogues des d'Aristote :
Diogène Laërce, Vies et doctrines des philosophes illustres, Livre V. Les Péripatétiques 22-27 (III siècle) ;
La Vita Menagiana (anonyme), connue aussi comme Vita Hesychii, attribuée à Hesychius de Milet (V siècle) ;
Le catalogue attribué à Ptolémée el-Garib, existant en deux versions arabes de Ibn al-Qifti (ca. 1172-1248) et de Ibn Abi Usaibia (1203-1270) (IV siècle ?).
1) Le livre Les listes anciennes des d'Aristote, Louvain : Éditions universitaires, 1951.
"M. Paul Moraux a publié, en 1942, une fort bonne monographie consacrée à Alexandre d'Aphrodise, exégète de la noétique d'Aristote. On sait que l'activité d'Alexandre, aux environs de l'an 200 de notre ère, marque l'une des étapes les plus importantes dans l'histoire de l'aristotélisme et que ses vues sur les conditions de la pensée humaine ont alimenté pendant des siècles les controverses sur le sens véritable de la doctrine aristotélicienne de l'intelligence. Depuis ce premier travail plein de promesses, M. Moraux a poursuivi en sens inverse, en remontant vers la source, ses études sur le péripatétisme ancien ; mais nul n'ignore que la longue période qui s'étend de Théophraste à Alexandre nous est connue seulement par des témoignages fragmentaires et trop peu nombreux, permettant à peine de tracer une image bien pâle des prestations de l'École péripatéticienne à cette époque.
Devant cette pénurie de documents, M. Moraux n'a pas craint de s'attaquer à ceux d'entre eux dont la nature même ne semblait guère autoriser l'espoir d'en tirer des renseignements quelque peu substantiels sur la vie de l'École et l'activité concrète du maître : les sèches énumérations de titres d' que constituent les listes anciennes des écrits du Stagirite. L'étude historique qu'il en a entreprise répond sans doute aux vœux des spécialistes que ne pouvaient plus satisfaire les travaux actuellement vieillis sur cette matière aride. Mais par la manière dont il a su traiter le sujet, il rejoint des problèmes d'un intérêt plus étendu et de portée plus grande. On ne songe plus, de nos jours, à contester l'importance des recherches sur l'origine et la formation des écrits d'Aristote. Elles éclairent autant le philosophe qui s'attache à la doctrine du maître du Lycée pour en approfondir le sens, que l'historien qui a souci de retracer l'évolution de sa pensée et de suivre les répercussions qu'elle a eues après lui dans son école. Toute contribution nouvelle à l'étude de ces questions mérite, dès lors, notre attention sympathique.
C'est précisément à ce titre que nous avons été heureux d'accueillir dans la collection consacrée à l'œuvre philosophique d'Aristote l'ouvrage de M. Moraux sur les listes anciennes des écrits du Stagirite. Car cet ouvrage nous apporte beaucoup plus que son titre ne permet de le soupçonner. Sans doute y trouvera-t-on un examen patient et consciencieux du contenu et de l'origine de ces listes. Mais pour découvrir ce qui se cache sous ces longues énumérations de titres dont la grosse part ne révèle quasiment rien au premier abord, il était nécessaire de replacer dans leur cadre aussi bien les listes elles-mêmes que chacun des écrits qui y sont relevés. M. Moraux s'y est employé avec un succès remarquable. Il s'est imposé la tâche ardue de rassembler les données innombrables propres à éclaircir le mystère de chacun des titres de ces listes. Il ne s'est pas contenté toutefois des renseignements épars, fournis par les auteurs de l'antiquité, sur l'activité d'Aristote ou des philosophes postérieurs ; il a su tirer des lumières inattendues de l'étude des traités conservés du Stagirite : en en scrutant le contenu, la structure, les procédés de composition, les expressions caractéristiques, il est parvenu à déceler, avec une sûreté de coup d'œil peu commune, le sens vrai de tel titre d'apparence anodine, ne suggérant de façon précise aucune œuvre nettement déterminée.
Il nous amène ainsi à reconnaître, sans contestation possible, que tels livres parfaitement connus d'un de nos traités, -- des Topiques, par exemple, -- figurent dans les listes sous des dénominations inattendues. Et par ce biais on apprend aussi de quelle indépendance relative ont joui, aux premiers temps de l'École, certaines parties -- livres ou groupes de livres -- des traités aristotéliciens considérés depuis des siècles comme formant une unité.
Par ces brèves indications, données à titre d'échantillon, nous espérons faire entrevoir en quelque mesure ce que l'on peut attendre du travail de M. Moraux. La manière même dont il a abordé son sujet l'a mené bien au-delà de l'interprétation immédiate des documents squelettiques qui font l'objet direct de son étude. Pour une bonne part, les écrits qui y sont simplement énumérés ont pu être replacés dans leur ambiance vivante et dans les circonstances concrètes où ils ont vu le jour. Par voie de conséquence, certaines dates ont pu être précisées de façon heureuse, ou du moins proposées avec une sérieuse probabilité. On est mis en présence d'Aristote en pleine activité au sein de son école, rassemblant avec ses disciples des documents de toute sorte, constituant avec eux des collections de problèmes et d'exercices relatifs aux domaines les plus variés, mais composant aussi, de façon progressive, ses fameux traités qui devaient le rendre si célèbre plus tard.
A côté de cela, on nous montre, avec preuves à l'appui, le rétrécissement de plus en plus accentué du champ sur lequel s'est porté l'intérêt des représentants de l'École après les successeurs immédiats du maître. Ces disciples tardifs se cantonnent dans certains domaines, — logique et dialectique, entre autres, — rappelés par une profusion de titres dans les listes les plus anciennes. Ils semblent plier sous le poids d'un héritage trop lourd pour leurs faibles épaules et négligent, malgré leur importance, une série de traités de philosophie naturelle caractéristiques de la manière et des préoccupations du fondateur du Lycée.
C'est à la fin du Me siècle avant J.-C. que nous reportent en fait les documents envisagés. En étudiant de façon minutieuse les procédés de la catalographie alexandrine, M. Moraux a su montrer que les listes les plus anciennes d' d'Aristote (Diogène Laërce, Hésychius) n'appartiennent pas au milieu alexandrin, mais ont leur origine dans l'école péripatéticienne elle-même, vers la fin du IIIe siècle, un peu plus de cent ans après la mort du Stagirite. Elles proviennent d'un catalogue dressé à cette époque et dont l'auteur ne serait autre qu'Ariston de Céos, chef de l'École après Lycon. -- En même temps, les listes en question nous fournissent un précieux témoignage touchant la diffusion des traités aristotéliciens après Théophraste et avant l'édition d'Andronicus de Rhodes. Il en résulte une fois de plus qu'on ne peut ni refuser tout crédit, ni s'en tenir de façon exclusive à la tradition qui veut que tous les traités ou à peu près seraient restés enfouis durant plus de deux siècles dans une cave à Skepsis.
Cet aperçu, tout incomplet qu'il soit, ne laisse pas, croyons-nous, de mettre en lumière la richesse de contenu de l'ouvrage de M. Moraux et l'apport considérable qu'il représente pour notre connaissance de l'œuvre d'Aristote, de la formation et de l'origine de maints écrits qui y figurent, et du sort qui leur fut fait aux temps qui suivirent la mort du maître. Nous osons espérer que cette étude sera le point de départ de bien d'autres, visant à approfondir la genèse et la signification de bon nombre de ces écrits qui n'ont pas encore livré à l'histoire tout le secret de leur origine, ni dévoilé à l'analyse toute la portée philosophique de leur contenu." (pp. V-VIII)
Préface de Augustin Mansion à Paul Moraux, Les listes anciennes des d'Aristote, Louvain : Éditions universitaires 1951.
"Près de trois siècles s'écoulèrent entre le moment où furent écrits les scolaires d'Aristote et celui où l'activité des commentateurs en assura la diffusion dans le monde philosophique. Durant cette longue période, l'histoire des traités d'Aristote reste fort obscure. Strabon rapporte, à ce propos, une singulière histoire. La bibliothèque de Théophraste, qui contenait celle d'Aristote, fut transmise à Nélée par voie d'héritage. Nélée la fit transporter à Skepsis en Troade. Ses successeurs, des gens ignorants, l'enfouirent dans une cave pour la dissimuler à l'ardeur bibliophile des Attales. Longtemps après (au commencement du ter siècle avant J.-C.), les livres furent achetés par Apellicon ; celui-ci les publia en réparant maladroitement les dégâts faits par les vers et par l'humidité. La bibliothèque fut ensuite transportée par Sylla d'Athènes à Rome. Là, elle “passa par les mains” du grammairien Tyrannion, qui goûtait beaucoup Aristote. Les libraires se servirent souvent de copies fautives qu'ils ne collationnaient pas, ce qui arrive encore tous les jours, dit Strabon, aussi bien à Rome qu'à Alexandrie (1). Dans la Vie de Sylla, Plutarque raconte la même histoire ; il ajoute cependant qu'Andronicus de Rhodes acquit de Tyrannion des copies qu'il "publia et qu'il écrivit les tables (pinakés) qui circulaient encore à l'époque de Plutarque (2). Les deux auteurs signalent que les anciens Péripatéticiens, successeurs de Théophraste, n'avaient point les livres d'Aristote, si ce n'est en très petit nombre, et que, par conséquent, ils ne pouvaient pas philosopher sérieusement.
Dans ces récits, le mélange d'histoire et de légende est bien difficile à débrouiller. Strabon, le plus ancien auteur qui narre le sort des d'Aristote, n'écrivait guère qu'un demi-siècle après la découverte d 'Apellicon ; il était disciple de Tyrannion (3), avait étudié la philosophie aristotélicienne avec Boéthus de Sidon (4) et puisait souvent son information chez le stoïcien Posidonius, lequel témoignait un vif intérêt aux choses de l'aristotélisme (5). Toutes ces circonstances confèrent un certain poids à son témoignage.
D'ailleurs, l'école péripatéticienne elle-même semble avoir ignoré longtemps les scolaires d'Aristote. Straton fut sans doute le dernier à les utiliser, pour les combattre ; peut-être même ne les lisait-il plus et n'en connaissait-il les théories que par l'enseignement de Théophraste. Après Straton, le Lycée décline. Lycon n'est qu'un beau parleur ; l'éloquence l'intéresse plus que la philosophie. Ariston passe aussi pour un orateur plein d'élégance et pour un philosophe sans profondeur. Hiéronymus et Diodore, les moralistes de l'école, cherchent leur inspiration chez les Cyrénaïques, les Épicuriens et les Stoïciens. Critolaus, le seul Péripatéticien de l'époque qui ait quelque importance comme philosophe, utilise visiblement les dialogues d'Aristote et non ses ésotériques.
En dehors de l'école, on ne connaît pas davantage les traités scolaires du Stagirite. L 'adversaire le plus acharné de l'aristotélisme, Épicure, dirige ses attaques contre les dialogues. L' Eudème, le Protreptique, le De Philosophia, le Banquet et d'autres exotériques font l'objet de ses critiques. Il ne tient compte ni du De Anima, ni de l' Éthique, ni de la Métaphysique, ni des autres traités dont les théories différaient, sur bien des points, de celles des dialogues (6). Cependant, Épicure fut l'hôte d'Athènes dès 323, année où Aristote prit sa retraite à Chalcis en Eubée. Il était alors âgé de dix-huit ans et s'occupait de philosophie depuis plusieurs années. Quand il revint à Athènes et y ouvrit une école, après avoir enseigné à Mytilène et à Lampsaque, Aristote était mort depuis quinze ans. Dans ces conditions, les traités ésotériques ne lui auraient pas échappé, s'ils avaient joui d'une certaine diffusion à Athènes.
Dans leur polémique contre l'école péripatéticienne, Colotès et Diogène d'Œnoanda se contentent de reproduire les arguments d'Épicure. D 'autre part, les Épicuriens associent dans leurs attaques l'Académie et le Lycée, comme si l'enseignement des deux écoles était le même ; pareille confusion n'aurait pas été commise si l'on avait connu les traités ésotériques, où Aristote établissait sa position antiplatonicienne. La thèse syncrétiste d'un Antiochus d'Ascalon, affirmant l'unité foncière des doctrines de l'Académie, du Lycée et du Portique, ne se justifie pas autrement. Il semble d'ailleurs que Cicéron, le disciple d'Antiochus, ne connaisse d'Aristote que les publiés, les dialogues.
Pendant près de trois cents ans, les traités du Stagirite sont donc demeurés inconnus de la plupart des philosophes. Ce fait confirme, dans une certaine mesure, le récit de Strabon et de Plutarque. Cependant, il ne faut pas perdre de vue que nous connaissons mal l'histoire philosophique des siècles pendant lesquels, selon Strabon, les écrits d'Aristote demeurèrent cachés à Skepsis. Les penseurs de cette époque n'ont laissé aucune grande œuvre qui nous soit parvenue : nous n'avons que des fragments transmis par des auteurs parfois très tardifs (7). Dans ces conditions, il est bien téméraire d'affirmer qu'un philosophe ou qu'une école de ce temps ignorait tel ou tel ouvrage d'Aristote.
Peut-être les traités du Stagirite étaient-ils connus, mais peu prisés ; il n'est pas nécessaire d'en admettre la disparition pour expliquer l'oubli dans lequel ils tombèrent (8)." (pp. 1-3)
Notes
(1) Strabon, XIII, 608-609.
(2) Plutarque, Sylla, 26.
(3) Strabon, XII, 548.
(4) Strabon, XVI, 757.
(5) Strabon, II, 104. Cfr R. Zimmermann, Posidonius und Strabo, dans Hermes, XXIII, 1888, pp. 103-130.
(6) Sur la connaissance qu'il a pu avoir des Analytiques et des de physique, cfr infra, p. 4 et n. 9.
(7) M. F. Wehrli a commencé à réunir les fragmenta des Péripatéticiens sous le titre Die Schule des Aristoteles, Texte und Kommentar, B. Schwabe, Basel. Sont parus jusqu'ici : I, Dikaiarchos (1944) ; II, Aristoxenos (1945) ; III, Klearchos (1948) ; IV, Demetrios von Phaleron (1949).
(8) L'étude des traités scolaires n'a peut-être pas été absolument négligée : un assez long morceau de l'ouvrage d 'Ocellus (§ 20-35) présente d'incontestables analogies avec le De generatione et corruptione; à cause de cette circonstance, Diels (Doxographi Graeci, p. 187 ss.) croit qu'Ocellus a vécu après Andronicus. Mais le bien-fondé de cette déduction est contesté par Harder, dont voici la thèse : Ocellus n'a pas utilisé directement Aristote ; il s'est contenté de reproduire un commentaire, fort imprécis et de maigre valeur, au deuxième livre du D e gen. et corr.; ce commentaire n'est probablement rien autre qu'un cours provenant d'Athènes ; il est si médiocre que l'on ne peut le croire postérieur à la renaissance de l'aristotélisme ; les arguments qui tendent à démontrer qu'Ocellus a vécu avant Andronicus restent donc valables. Cfr. : Richard Harder, Ocellus Lucanus, Berlin, 1926, pp. 97 et 110-111 (= Neue philologische Untersuchungen, I).
Extrait de : Paul Moraux, Les listes anciennes des d'Aristote, Louvain : Éditions universitaires 1951.
2) Les écrits successifs de Paul Moraux sur Diogène Laërce
"Parmi les autres documents très précieux que nous devons à Diogène, il faut mentionner les "catalogues" des d'Aristote (13), Théophraste (14), Straton (15), Démétrius de Phalère (16) et Héraclide Pontique (17). Celui d'Aristote, que j'ai étudié en détail il y a quelque 35 ans (18), mérite de retenir particulièrement notre attention. Il s'agit manifestement d'un document très ancien, antérieur à la mise en ordre du corpus par Andronicus de Rhodes. Plusieurs grands traités scolaires, et des plus importants, n'y sont pas mentionnés. Pour d'autres, comme les Topiques, chaque livre figure encore isolément, sous un titre particulier. En revanche, on y trouve à peu près au complet les dialogues et autres exotériques, qui ne devaient pas tarder à disparaître après la diffusion des scolaires. La liste mentionne aussi une foule de travaux et recueils destinés aux exercices de l'école, et qu'on n'a pas reproduits dans la suite. Elle contient une série de grandes collections documentaires telles que les Constitutions, les Didascalies, les Listes de vainqueurs, etc. Tout cela montre bien que celui qui a dressé la liste ne disposait pas encore des travaux d'Andronicus, mais avait connaissance d' que le Rhodien n'a probablement pas repris dans son édition. Par ailleurs, les d'Aristote y sont groupés dans un ordre encore perceptible, en dépit d'accidents mineurs et de l'incertitude de l'une ou l'autre identification. On trouve en tête les exoterica, suivis d'extraits de Platon et d' consacrés au platonisme. Vient alors une longue série d' proprement scientifiques, classés par disciplines : de logique, consacrés aux disciplines pratiques et poétiques et aux sciences théorétiques. On trouve ensuite des aide-mémoires en tout genre (les écrits dits hypomnématiques), puis des collections et finalement des documents d'ordre privé, les lettres et les poèmes.
Si nous nous tournons vers la liste de Straton, nous constatons que l'ordre dans lequel sont énumérés les est assez semblable à celui qu'offre la liste d'Aristote. À l'une ou l'autre exception près, les premiers titres ont trait à l'éthique et à la politique. Vient ensuite une série de 25 titres environ consacrée, en gros, à la philosophie naturelle. Une troisième section, d'une dizaine de titres, groupe des ayant manifestement trait à la logique. De même que le pinacographe d'Aristote avait groupé à part les collections, les hypomnemata et les lettres, celui de Straton mentionne en fin de liste un catalogue d'inventions, des hypomnemata d'authenticité douteuse et enfin les lettres de notre philosophe (19).
Le pinax de Théophraste se présente, lui, sous un aspect très différent. Comme Usener l'a bien montré dans sa dissertation doctorale (20), il est fait en réalité de quatre parties distinctes : a) une liste alphabétique de 108 titres ; b) une seconde liste alphabétique, de 65 titres ; elle énumère sans doute les nouvelles acquisitions faites par la bibliothèque à laquelle appartenaient les mentionnés dans le premier tronçon du catalogue ; c) une série de 29 titres cités pêle-mêle ; il s'agit sans doute d'acquisitions qui n'ont pas encore été mises en ordre, et dont on n'a pas supprimé les titres faisant double emploi avec ceux d'autres parties de la liste : d) enfin, une nouvelle liste alphabétique de 22 titres, dont l'ordre a été quelque peu troublé par l'insertion intempestive de quatre titres en fin de liste.
Que peut-on conclure de la comparaison de ces listes ? D'une part, nous savons qu'Hermippos, élève et successeur de Callimaque, s'était intéressé à l'authenticité des de Théophraste et avait dressé une anagraphé de ceux-ci. Il y a donc de bonnes chances que le catalogue reproduit par Diogène soit l'œuvre d'Hermippos et ait été rédigé à partir du catalogue de la grande bibliothèque d'Alexandrie. L'ordre alphabétique, du reste, est particulièrement commode pour grouper, dans un catalogue de bibliothèque, les d'un seul et même auteur (21). Mais alors, les catalogues d'Aristote et de Straton remonteraient-ils aussi à Hermippos, comme on l'admet assez couramment ? Le même bibliothécaire-pinacographe aurait-il soigneusement classé les d'Aristote et de Straton en respectant à la fois les grandes articulations de la philosophie et certaines pratiques habituelles dans la confection des catalogues systématiques, mais adopté pour Théophraste le principe du classement alphabétique ? Une telle hypothèse semble difficile à admettre, et on est tenté de dire que si le catalogue de Théophraste est bien d'Hermippos, ceux d'Aristote et de Straton ne peuvent être de lui (22). En partant de ces considérations, j'ai suggéré, dans mes Listes anciennes, que le catalogue d'Aristote devait avoir été rédigé dans l'école péripatéticienne elle-même et était probablement tiré de l'ouvrage d'Ariston de Céos sur les scolarques ses prédécesseurs. Cette thèse a, on le sait, été approuvée par les uns et rejetée par les autres (23). Aujourd'hui, j'hésite à me prononcer. Ce sont surtout les lacunes très importantes de la liste qui me paraissent militer contre la thèse de son origine péripatéticienne ; il est en effet peu probable, en principe, que le Lycée, même en pleine décadence, n'ait pas conservé au moins un exemplaire de pragmaties aussi importantes que le De caelo, le De generatione et corruptione, les Météorologiques, le De anima et l' Éthique à Nicomaque. Dans une étude récente, R. Blum soutient la thèse que la bibliothèque de Nélée, qui contenait les livres d'Aristote et de Théophraste, aurait été acquise par la grande bibliothèque d'Alexandrie, où auraient été dressées les listes conservées par Diogène. Il n'ignore pas, bien sûr, la différence fondamentale entre le catalogue "alphabétique" de Théophraste et le catalogue "systématique" d'Aristote, mais il se débarrasse assez cavalièrement de la difficulté : d'après lui, la liste de Théophraste représenterait une exception, un essai d'Hermippos pour classer alphabétiquement les d'un même auteur ; cet essai n'aurait pas eu de succès et serait resté sans lendemain (24).“ pp. 249-252
Notes
(13) V 73
(14) V 22-27
(15) V 42-50
(16) V 59-60
(17) V 86-88
(18) P. Moraux, Les listes anciennes des d'Aristote, Louvain 1951
(19) Sur le catalogue de Straton, voir, en dernier lieu, M. Gatzemeier, Die Naturphilosophie des Straton von Lampsakos, Meisenheim am Glan 1970, pp. 38-43.
(20) H. Usener, Analecta Theophrastea, diss. Bonn, Leipzig 1858, pp. 1-24.
(21) Sur le catalogue de Théophraste, voir la bonne mise au point d'O. Regenbogen, s.v. Theophrastos (n. 3), in RE Supplbd. VII (1940) coll. 1363-70 : le catalogue doit être d'Hermippos ; il donne les en possession de la bibliothèque d'Alexandrie.
(22) Dans le même sens, F. Wehrli, Die Schule des Aristoteles. Texte und Kommentar, Basel 1944-1959, IV, pp. 56-7 : les catalogues d'Aristote et de Straton, dont l'origine reste mystérieuse, ne présentent aucune trace d'ordre alphabétique. “Hermipp als Urheber [...] kommt nicht in Betracht, wenn auf diesen das alphabetische Theophrastregister bei Diogenes Laertios V 42 ff. zurückgeht”. (23) Status quaestionis dans P. Moraux, Der Aristotelismus bei den Griechen, I, p. 4 note 2.
(24) R. Blum, Kallimachos und die Literaturverzeichnung bei den Griechen. Untersuchungen zur Geschichte der Biobibliographie, (Archiv für Geschichte des Buchwesens, XVIII 1-2) Frankfurt am Main 1977 p. 125.
Extrait de : Paul Moraux, "Diogène Laërce et le Peripatos", Elenchos, 7, 1986, pp. 245-294.
Voir "Catalogue of Titles of Works Attributed to Aristotle", compilé par Monte Ransome Johnson pour le texte grec et une traduction anglaise,